Ce journal a débuté avec la naissance des Blogs en 2005 pour accompagner les six mois d'aventure en Inde d'où son nom, !ndianeries. Mot inventé dans l'urgence avec un engagement d'un article posté chaque jour sur des ordinateurs locaux, avec des claviers pourris, des temps d'attentes interminables.., d'où des corrections jamais réalisées. J'en implore votre indulgence en lisant "La malle de l'!nde" & les "!ndianeries". Puis, d'autres voyages ont suivi et des humeurs de l'entre deux, et pour finir "Survivre au travail"... la chose la plus formidable qui soit pour les chanceux que nous sommes, à jouir d'une retraite.
"L'urgence d'ecrire
En 1987, Nguyen Huy Thiep publie "Un général à la retraite", un ouvrage qui rompt avec le réalisme socialisme et le patriotisme jusqu’alors propres à la littérature vietnamienne contemporaine. Plusieurs années après l’onde de choc causée par cet ouvrage contestataire, a rencontré à Hanoï l’écrivain vietnamien le plus lu à l’étranger, en compagnie d’un jeune auteur Nguyen Viet Ha, représentant d’une génération coincée entre la figure de Thiep et les contraintes du système politique.
En 1986, le 6e Congrès du Parti communiste vietnamien adopte une réforme économique et politique connue sous le nom de doi moi (renouveau). C’est l’époque des grands changements que Thiep décrit comme l’ouverture d’une porte sur des espaces inexplorés pour la société vietnamienne. Profitant du flou entourant la réforme et d’un relâchement de contrôle, les plus opportunistes s’y faufilent et s’engouffrent dans le vol, la corruption, les magouilles politiques ou se complaisent dans l’appât du gain. Thiep franchi aussi le seuil de cette porte, mais pour écrire : « Être publié été la chance de ma vie. Ou ma plus grande malchance. »
Quête de sens
Historien de formation, il a été jusqu’en 1986 illustrateur de manuels scolaires. Il décrit son urgence d’écrire par une phrase : « Ce que nous voyons dans la société nous blesse. » Thiep veut exprimer les maux de la société, décrire des êtres humains hors de la guerre, s’attarder sur l’individu dans la société. Sous sa plume, le langage change, s’individualise ; ses ouvrages parlent au « je », reléguant le « nous » traditionnel à une littérature d’une autre époque. Il revisite l’histoire de son pays, revoit le rôle des grands héros glorifiés par la patrie, empereurs ayant tôt frayé avec les puissances étrangères afin de conserver le pouvoir ; exprime la perte de valeurs, la quête de sens d’une société en mutation. Passant du théâtre à la nouvelle, toujours dans un style au symbolisme subtil, mais fort. Les premiers écrits de Thiep, publiés dans un journal vietnamien, lui valent d’être renvoyé par son éditeur.
Un général à la retraite a été la première de ses œuvres à marquer une profonde rupture dans la littérature vietnamienne. Mais bien d’autres ouvrages ont suivi et plusieurs de ses recueils de nouvelles sont publiés en français aux éditions de l’Aube. Thiep demeure l’écrivain vietnamien le plus lu à l’extérieur du pays, apprécié à la fois par la diaspora vietnamienne et par les étudiants étrangers qui lui consacrent thèses et mémoires.
La jeune génération
Ainsi, Nguyen Huy Thiep a pavé la voie à un renouveau littéraire. Et Nguyen Viet Ha, de la jeune génération - en attente d’une première publication en français - décrit Thiep comme un avant-gardiste. Pour Thiep, la jeune génération d’écrivains veut contribuer à élargir ce sentier ouvert par ses propres ouvrages, mais ne parvient ni à aller plus loin dans l’expression ni à faire reconnaître l’importance de la littérature contemporaine. Les deux auteurs décrivent une société contradictoire : le « pragmatisme communiste » valorise le gain et l’argent et paradoxalement, bien qu’il ne s’intéresse pas à la culture et à la littérature, il les contrôle toujours étroitement... Pour publier au Vietnam, il faut obtenir un permis, émis après que les œuvres aient été soigneusement évaluées par la censure. Thiep compare la publication à un passage à la douane où un comité décide ou non du droit de vous laisser passer avec votre bagage, selon son contenu. Les deux auteurs estiment que 70 % des publications sont informelles, ayant été rejetées par la censure ; les ouvrages sont imprimés à la photocopieuse du coin, distribués clandestinement, puis saisis...Une routine. Pour Thiep, du point de vue de la liberté d’expression, le doi moi n’est qu’une apparence.
Sous la passion pour l’écriture, ce besoin viscéral de crier les maux d’une société en mutation, on lit entre les mots soigneusement choisis pour exprimer la tolérance du gouvernement à l’égard des auteurs de la trempe de Thiep, les souffrances et les frustrations de ceux qui habitent et façonnent cet espace littéraire encore fort restreint..."
Article paru en avril 2002
Nguyen Huy Thiep est le représentant d’une nouvelle génération d’écrivains qui veulent se distinguer du réalisme socialiste.
Nguyen Huy Thiep est considéré comme le plus grand écrivain contemporain du Vietnam. Jeune homme à la fin de la guerre (il avait 25 ans en 1975), il a vécu la période de la reconstruction avec ses dérives totalitaires et ses parenthèses de libéralisation. Son ouvre, essentiellement composée de nouvelles, publiées dans des revues en a souvent pâti. En 1987, au lendemain du 6e Congrès du Parti communiste vietnamien, il se fait connaître en publiant Un général à la retraite, histoire d’un général de la glorieuse armée qui de retour chez son fils découvre une famille (le fils est ingénieur, la bru médecin) obsédée par l’appât du gain. Le général ne supportera pas le choc et retournera au front où il sera tué. Le texte fait scandale au plus haut niveau de l’État et si Nguyen Huy Thiep n’est pas inquiété directement, le rédacteur en chef de la revue Van Nghe qui commence à publier régulièrement des nouvelles de l’auteur est démis de ses fonctions en 1988 et l’année suivante, c’est le président de la commission des arts et de la culture du PCV qui est écarté pour avoir toléré la diffusion d’écrits démobilisateurs.
Les traductions des écrits de Nguyen Huy Thiep sont publiées depuis 1990 par les Éditions de l’Aube. Le dernier recueil, l’Or et le Feu, titre de la première nouvelle du livre rassemble six nouvelles écrites entre 1988 et 1999 (Nguyen Huy Thiep reproche d’ailleurs ce désordre à son éditeur français). L’auteur, historien de formation, revisite l’histoire du pays en butte à une guerre civile au XVIIIe siècle. L’Or et le Feu raconte l’épopée d’un chercheur d’or aventurier français qui s’est mis au service du roi Gia Long. L’auteur introduit la figure d’un roi qui unifia le pays en 1802 et, déjà, s’attache des conseillers étrangers. Il a une ambition pour le pays qu’il vient de conquérir : " La question est de se hausser au niveau d’un pays puissant. Pour ce faire, il faut avoir le courage de supporter les frottements et les torsions qu’entraînent les relations avec la grande communauté des hommes ", fait dire l’auteur à un des personnages. Toute ressemblance avec des faits et des personnages existants étant évidemment exclue, Nguyen Huy Thiep s’autorise via la fiction historique une opinion très contemporaine. La nouvelle Gens d’autrefois écrite en 2001 se déroule dans les années soixante-dix. Elle se réfère à une période de la vie de l’auteur qui a enseigné dans un village éloigné du nord du pays où vivent des minorités, thaï notamment. Un professeur donc, raconte ses deux années à l’école du village où exerce également un dénommé Doanh qui vilipende l’apprentissage de la lecture et de la culture à une masse de paysans illettrés.
" Ce qu’ils apprennent ne sert à rien. L’instruction est dangereuse car elle donne l’illusion (…). " Le professeur, qui croit à son travail, quittera un jour le village, se bâtira une carrière d’écrivain à l’étranger. Il retourne un jour dans le village où peu de choses finalement ont changé.
L’intellectuel Nguyen Huy Thiep qui s’est battu par sa prose (et son théâtre) pour la liberté d’expression ne peut évidemment cautionner un tel discours. Pourtant, lors d’un récent passage à Paris à la librairie Phénix où il rencontra ses lecteurs, Nguyen Huy Thiep eut des propos étonnants qui d’ailleurs ont fait débat. Lui, qui dit écrire de façon authentique et sincère parce que ce qu’il voit dans la société lui fend le coeur, répond à une question sur la liberté d’expression au Vietnam que l’on ne peut s’intéresser à la liberté que quand la société a atteint un certain stade de développement : " Le peuple pense plus à manger et se vêtir que se poser des questions sur la liberté. " Faut-il alors rejeter la fiction du personnage Doanh ? Et qu’est exactement l’amour que porte Nguyen Huy Thiep à la campagne vietnamienne et ses paysans illettrés ? Où situer l’auteur qui se démarque de la seule école littéraire actuellement vivante au Vietnam " celle du réalisme socialiste " et qui représente un espoir pour la jeune génération ? L’oeuvre écrite de main de maître est ambitieuse. L’écriture, fine et dépouillée, cherche les pépites de l’âme d’un peuple enfouie dans des coques solidifiées par une histoire dramatique.
Ecrit par Jacques Moran (A l'occasion de la publication de L’Or et le Feu, nouvelles traduites par Kim Lefèvre, Éditions de l’Aube, 114 pages, 12 euros).